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vendredi 19 octobre 2012

samedi 28 juillet 2012

vulnérables



Sandrine Buring, Ch(ose) ou l'éprouv'être


Métamorphoser
 

Oser regarder


Changer sa perception


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Stéphane Olry, Hic sunt leones / Là-bas, il y a des lions


« Nous, les quatre enfants, sommes réunis dans la Danseuse. [...] Nous sentons le corps de la Danseuse avancer comme un palanquin ondulant à notre guise. Nous percevons le battement tranquille de son cœur. Nous avons constaté alors que la Danseuse discutait, que nous pouvions, nous, les quatre enfants, en accélérer le rythme et faire affleurer le sang à ses joues. [...] 
Par ses narines nous parviennent les fragrances des arbres au milieu desquels elle marche. En un pas, le parfum sucré et piquant des pommes pourries au pied de l'arbre a succédé aux essences résineuses des pins noirs. Nous nous régalons de ce festin de parfums. Nous encourageons notre hôtesse à ramasser une pomme qui a roulé à ses pieds. Nous l'excitons à porter le fruit à son visage. L'odeur de la pomme encore verte pénètre d'abord ses narines. Nous murmurons à la Danseuse de mordre dedans. Le parfum s'engouffre à l'intérieur de son corps, gonfle et se répand. Alors, nous, les quatre enfants, invitons la Danseuse à récidiver, à croquer à nouveau dans la peau du fruit, à mastiquer la chair lentement, à libérer les sucs, les goûter et à déglutir au rythme qui nous permet de savourer le plus longtemps possible ces sensations. Toutes ces actions machinales suggérées par nous, les quatre enfants, font affleurer à la conscience de la Danseuse ce jugement : "Elle est bonne cette pomme". »



Revoir

jeudi 26 juillet 2012

il leur reste les mots


"Je suis une mouette… Non, ce n’est pas ça. Je suis une actrice."
"Я — чайка… Не то. Я — актриса."

Anton Tchekhov, La Mouette.


 

"Dans ce qui fut un lac, dans ce qui fut peut-être un théâtre, 
une humanité perdue tente de ne pas oublier. 
Il leur reste les mots. 
Les mots, une fois prononcés, ne peuvent faire disparaître l’espace qu’ils ont ouvert."
 
Arthur Nauzyciel
mars 2012
(dossier) (+) (+) (-)






"À gauche tout devait encore se déchiffrer et mon destin était suspendu à chaque signe; 
à droite il s’était déjà jadis réalisé et c’était un seul signal silencieux. 
Ces renversements durèrent longtemps, jusqu’à ce que je ne fusse plus moi-même 
que le seuil au-dessus duquel les messagers sans nom, noirs et blancs, changeaient dans les airs."

Walter Benjamin, Les chemins du labyrinthe.


mardi 24 juillet 2012

je suis celui



Les mains négatives
Marguerite Duras
1978


(with english subtitles)




Devant l’océan
Sous la falaise
Sur la paroi de granite
Ses mains
Ouvertes
Bleues
Et noires
Du bleu de l’eau
Du noir
De la nuit

L’homme est venu seul
Dans la grotte
Face
A l’océan
Toutes les mains ont la même taille
Il était seul


L’homme seul dans la grotte
A regardé dans le bruit
Dans le bruit de la mer
L’immensité des choses
Et il a crié


Toi qui es nommé
Qui est doué d’identité
Je t’aime


Ses mains
Du bleu de l’eau
Du noir
Du ciel
Plates
Posées
Écartelées
Sur le granite
Gris
Pour que quelqu’un les ait vues


Je suis quelqu’un qui appelle
Je suis celui qui appelait
Qui criait
Il y a trente mille ans


Je t’aime

Je crie que je veux t’aimer
Je t’aime
J’aime quiconque entendra que je crie


Sur la terre vide
Resteront ces mains
Sur la paroi de granite
Face
Au fracas
De l’océan
Insoutenable
Personne n’entendra plus
Ne verra

Trente mille ans
Ces mains là
Noires

La réfraction de la lumière sur la mer
Fait frémir la paroi de pierre


Je suis quelqu’un
Je suis celui

Qui appelait
Qui criait
Dans cette lumière blanche
Le désir

Le mot n’est pas encore inventé


Il a regardé l’immensité des choses
Dans le fracas
Des vagues
L’immensité de sa force
Et puis il a crié

Au dessus de lui
Les forêts d’Europe
Sans fin
Il se tient au centre de la pierre
Des couloirs, des voix de pierre de toute part
Toi
Qui a un nom
Toi qui es doué d’identité
Je t’aime d’un amour indéfini

Il fallait descendre la falaise
Vaincre la peur
Le vent souffle du continent
Il repousse l’océan
Les vagues luttent contre le vent
Elles avancent
Ralenties par sa force
Et patiemment parviennent à la paroi

Tout s’écrase

Je t’aime plus loin que toi

J’aimerai quiconque entendra que je crie que je t’aime

Trente mille ans

J’appelle
J’appelle celle qui me répondra
Je veux t’aimer
Je t’aime
Depuis trente mille ans
Je crie
Devant la mère
Le spectre blanc

Je suis celui qui criait
Qu’il t’aimait
Toi


jeudi 28 juin 2012

arche-mot


Arche
Du latin Arca
Hébreu : תבה Tèbah : coffre, mot.

Le mot tèbah est composé des lettres : 

ת (tav), dernière lettre de l'alphabet.

ב (beth), deuxième lettre de l’alphabet, première lettre de la Torah, qui commence par בְּרֵאשִׁית (Berèshit, « au commencement »). 

ה (he), utilisée comme article défini en hébreu, où elle est directement accolée devant le nom.

Les deux lettres écrivant tèbah enserrent donc la totalité des lettres de l’alphabet, à l’exception du “aleph”.
Tèbah est donc en deux syllabes/lettres l’arche-mot, le mot comme arche, refuge, perpétuation de l’écriture. 

Les lettres du mot tèbah donne aussi le sens de “le signe en elle” (taw/bah). Ce que l’arche-mot préserve serait ainsi les multiples sens qu’il véhicule lui-même dans l’espace et le temps.






mardi 26 juin 2012

Coffrer la langue


« Aucune tombe ne sera permise nulle part en terre labourable, aucun monument (mnèma) grand ou petit... tout sol que la terre, notre mère (mètèr) destine naturellement à fournir la nourriture aux hommes, ni mort ni vivant ne doit en priver ceux de qui nous vivons »
(Platon, Lois XII, 958 d 7-8, e 3-5).




 (Pas de Calais, Mars 2010)



« Ce qui est écrit est privé de voix, privé de la voix de son père.
[…] La loi [non-écrite, paternelle] interdit qu’une tombe ne vienne souiller la terre labourable, qu’aucun mémorial ne vienne s’inscrire dans la terre-mère, dans le porte-empreinte maternel. Mais, même ailleurs que là où la terre, nous nourrissant, déploie le plus sa maternité, toute trace du corps mort est limitée.
[…] le tombeau est au maximum ce qu’il est quand il est couvert d’une inscription. […] Toute inscription est funèbre, l’écriture est déjà tombeau.
[…] la loi du père proclame l’immortalité de l’âme. Elle interdit Elle interdit ou essaie d’interdire à l’homme de laisser des traces, parce que ces traces ne pourraient s’inscrire que corporellement et dans la terre-mère. La loi du père sépare l’âme de la mère. L’immortalité de l’âme est un autre nom pour la prohibition de l’inceste. C’est d’ailleurs une autre loi non-écrite qui l’interdit (Lois VIII, 838 b 1)
[…] L’écriture des lettres ne suffit pas, ne se suffit pas à elle-même. Il lui faut le secours de son père, la voix du discours parlé. […] La semence paternelle pourra donc subsister, mais elle ne pourra pas pousser une fois séparée de la voix que seule le père peut lui donner »
Extrait de : Brague R. 1973. En marge de « La pharmacie de Platon » de J. Derrida. Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, Tome 71, N°10, 1973. pp. 271-277.


samedi 9 juin 2012

la couleur roturière des choses

(some english words below)


Vincent Van Gogh 1853-1890

« Qu’est-ce que dessiner ? Comment y arrive-t-on ? C’est l’action de se frayer un passage à travers un mur de fer invisible, qui semble se trouver entre ce que l’on sent et ce que l’on peut. Comment doit-on traverser ce mur, car il ne sert de rien d’y frapper fort, on doit miner ce mur et le traverser à la lime, lentement et avec patience à mon sens. »




Antonin Artaud 1896-1948
Van Gogh le suicidé de la société, 1947

« Je crois que Gauguin pensait que l’artiste doit rechercher le symbole, le mythe, agrandir les choses de la vie jusqu’au mythe,
alors que Van Gogh pensait qu’il faut savoir déduire le mythe des choses les plus terre-à-terre de la vie.
En quoi je pense, moi, qu’il avait foutrement raison.
Car la réalité est terriblement supérieure à toute histoire, à toute fable, à toute divinité, à toute surréalité.
Il suffit d’avoir le génie de savoir l’interpréter. »

« Il y a dans tout dément un génie incompris dont l’idée qui luisait dans sa tête fit peur, et qui n’a pu trouver que dans le délire une issue aux étranglements que lui avait préparés la vie. »

« Au fond de ses yeux comme épilés de boucher, Van Gogh se livrait sans désemparer à l’une de ces opérations d’alchimie sombre qui ont pris la nature pour objet et le corps humain pour marmite ou creuset […] Van Gogh en était arrivé à ce stade de l’illuministe, où la pensée en désordre reflue devant les décharges envahissantes de la matière,
et où penser, n’est plus s’user,
et n’est plus,
et où il ne reste que de ramasser corps, je veux dire
entasser des corps. »

« Il n’y a pas de fantômes dans les tableaux de Van Gogh, pas de visions, pas d’hallucinations.
C’est de la vérité torride d’un soleil de deux heures de l’après-midi.
Un lent cauchemar génésique petit à petit élucidé.
Sans cauchemar et sans effet.
Mais la souffrance du pré-natal y est.
C’est le luisant mouillé d’un herbage, de la tige d’un plant de blé qui est là prêt à être extradé.
Et dont la nature un jour rendra compte.
Comme la société aussi rendra compte de sa mort prématurée.
Un plan de blé sous le vent incliné, avec au dessus les ailes d’un seul oiseau en virgule posé, quel est le peintre, qui ne serait pas strictement peintre, qui aurait pu avoir comme Van Gogh l’audace de s’attaquer à un sujet d’une aussi désarmante simplicité ?
Non, il n’y a pas de fantômes dans les tableaux de Van Gogh, pas de drame, pas de sujet et je dirai même pas d’objet […]
C’est de la nature nue et pure vue, telle qu’elle se révèle, quand on sait l’approcher d’assez près »

« Car c’est bien cela tout Van Gogh, l’unique scrupule de la touche sourdement et pathétiquement appliquée. La couleur roturière des choses, mais si juste, si amoureusement juste qu’il n’y a pas de pierres précieuses qui puissent atteindre à sa rareté. 
Car Van Gogh aura bien été le plus vraiment peintre de tous les peintres, le seul qui n’ait pas voulu dépasser la peinture comme moyen strict de son œuvre, et cadre strict de ses moyens. »

« On peut, après l’avoir vue, tourner le dos à n’importe quelle toile peinte, elle n’a rien à nous dire de plus. L’orageuse lumière de la peinture de Van Gogh commence ses récitations sombres à l’heure même où on a cessé de la voir.
Rien que peintre, Van Gogh, et pas plus,
pas de philosophie, de mystique, de rite, de psychurgie ou de liturgie,
pas d’histoire, de littérature ou de poésie,
ses tournesols, d’or bronzé sont peints : ils sont peints comme des tournesols et rien de plus, mais pour comprendre un tournesol en nature, il faut maintenant en revenir à Van Gogh, de même que pour comprendre un orage en nature,
un ciel orageux,
une plaine en nature,
on ne pourra plus ne pas en revenir à Van Gogh. »

« il est mort à 37 ans. »

« J’entends les ailes des corbeaux frapper des coups de cymbale forte au-dessus d’une terre dont il semble que Van Gogh ne pourra plus contenir le flot.
Puis la mort. »

« L’eau est bleue,
pas d’un bleu d’eau,
d’un bleu de peinture liquide.
Le fou suicidé est passé par là et il a rendu l’eau de la peinture à la nature,
Mais à lui qui la lui rendra ?
Un fou, Van Gogh ? »




Evelyne Grossman, Avant-propos

« Je veux dire que nous avons une taie sur l’œil du fait que notre vision oculaire actuelle est déformée, réprimée, opprimée, revertie et suffoquée par certaines malversations sur le principe de notre boîte crânienne, comme l’architecture dentaire de notre être, depuis le coccyx du bas des vertèbres, jusqu’aux assises du forceps des mâchoires sustentatrices du cerveau » (Antonin Artaud, commentant ses propres dessins en 1946).

« Qu’est-ce qu’écrire-dessiner ? C’est refaire un « corps sans organes », c’est-à-dire une multiplicité moléculaire, explosive et atomique (l’inverse du « cadastre anatomique » du corps organique), c’est inventer une scénographie picturale, une danse corporelle des signes sur la page : « Ce dessin représente l’effort que je tente en ce moment pour refaire corps avec l’os des musiques de l’âme », écrivait [Artaud] à Rodez en septembre 1945. Ces signes jetés sur la page, Artaud les nomme des « notes », au double sens scriptural et musical du terme, … et Van Gogh le peintre est aussi « un formidable musicien ». « Quand j’écris, / j’écris en général une note d’un trait. Mais cela ne me suffit pas / et je cherche à prolonger/ l’action de ce que / j’ai écrit dans / l’atmosphère. Alors / je me lève / je cherche / des consonances, / des adéquations / de sons, / des balancements du corps / et des membres / qui fassent acte » (50 dessins pour assassiner la magie). Et de même, que fait le peintre Van Gogh ? Il cherche à « ramasser corps, je veux dire entasser des corps ». Le corps chez Van Gogh est un paysage infini, agité de convulsions géologiques qui portent en elles tous les éclatements volcaniques à venir. C’est une force explosive, une puissance éruptive, l’inverse du corps actuel, cette « pile électrique chez qui on a châtré et refoulé les décharges » (Le Théâtre de Cruauté). Le peintre du corps humain, ce n’est pas Léonard de Vinci, ce peintre de cadavres, qui travaille sous la dictée des lois de l’anatomie, avec ses écorchés exacts comme des machines, le peintre du corps humain c’est Van Gogh qui trace des paysages hallucinés comme des visages et fait surgir sur sa toile les déchirements sonores du Théâtre de la Cruauté : corps-paysage sanglant, tournesols éventrés, bombardement comme météorique d’atomes, fleur torturée, paysage sabré, coquelicots… rageusement ponctués et déchiquetés…et par-dessus tout cela « la figure de Van Gogh, rouge de sang dans l’éclatement de ses paysages ».



Evocation de Van Gogh le suicidé de la société, par Max Pol Fouchet, 
Documentaire L'impressionnisme: l'aventure de la lumière -1975



*** In English***


Van Gogh
What is it to draw? How de manage to do so? That is the action to create a path through an invisible iron wall that seems to be situated between what we feel and what we can. How should we go through this wall? It is useless to hit strongly, we have to sap this wall and go through it with a file, slowly and, in my opinion, with great patience.


Artaud, Van Gogh, the Man Suicided by Society (1947)
There is in every madman a misunderstood genius whose idea, shining in his head, frightened people, and for whom delirium was the only solution to the strangulation that life had prepared for him.

No one has ever written, painted, sculpted, built, or invented except literally to get out of hell. And I prefer, to get out of hell, the landscapes of this quiet convulsionary to the teeming compositions of Breughel the Elder or Hieronymus Bosch, who are, in comparison with him, only artists, whereas Van Gogh is only a poor dunce determined not to deceive himself.

And what is an authentic madman? It is a man who preferred to become mad, in the socially accepted sense of the word, rather than forfeit a certain superior idea of human honor. So society has strangled in its asylums all those it wanted to get rid of or protect itself from, because they refused to become its accomplices in certain great nastinesses. For a madman is also a man whom society did not want to hear and whom it wanted to prevent from uttering certain intolerable truths.

There is no ghosts in Va, Gogh’s painting, no visions, no hallucinations. It is the torrid truth of the sun at two o’clock in the afternoon. But the suffering of the pre-natal is there. It is nature, pure and naked, seen just as it conceals itself when we know how to get near enough to it.



jeudi 17 mai 2012

Ecrire - Greffer




Écrire
Du latin scrībĕre (écrire).
Les premières formes d’écriture ont été des entailles dans la pierre, le bois ou la cire et le radical de ce verbe est à chercher du côté de scrupus (pierre pointue), scrobis (trou creusé dans la terre), scrofa (truie, animal qui gratte la terre).

-graph
Du grec ancien γράφειν, graphein (écrire).
Infinitif du verbe γράφω.

γράφω /'gɾa.fɔ/
Du grec ancien γράφω, gráphô.
1. Écrire.
2. Dessiner.

γράφω, gráphô
Du radical indo-européen commun gerbʰ- (égratigner).
1. (sens de départ) Égratigner, écorcher.
2. Tracer des signes pour écrire ou pour dessiner, d’où le sens de graver, d’inscrire, d’écrire. Aussi : rédiger, composer (en prose).
3. Assigner par écrit (en justice), d’où : poursuivre ou attaquer en justice.
4. Tracer des lignes, d’où : dessiner, peindre.


Greffe
Du latin graphium, poinçon à écrire, du grec γράφειν, graphein, écrire.
Grefe était un mot très usité dans l'ancienne langue et signifiant poinçon à écrire.