Pierre Guyotat, Coma, 2006.
« Installé dans un angle du living, je
reprends mon travail, sur un cahier jaune dont je remplis les pages, dans la
totalité de leur espace, par des renvois, des blocs d’écriture comme enchâssés
sur le feuillet.
« J’avance dans le son de la vie que je
viens de quitter, celui des nuits des arrière-salles, des couloirs à putains.
« Ce que je ne vis naguère que sur quelques
heures, quelques journées, au désert, dans le ménage, la dépression s’installe
en moi, coupe tous les gestes dans mon centre : seuls le travail, la
langue, la composition, des figures, des lieux, l’accentuation de chaque voix
selon ce quelle fait, cela seul me maintient à proximité d’un monde, qui pour
moi n’existe plus que dans les cinq sens des autres.
« Un soir, où chez des amis de mon frère, de
l’autre côté du living, tous dînent sans moi qui ne peut plus manger, le son
des fourchettes, des couteaux et des assiettes augmente l’angoisse qui me tient
étendu et raidit tous mes membres.
« Alors, qui ? Quoi ? Quel choc me
sortira de cette terreur muette ? »
« Une nuit, plus tard, mon ami m’emmène
dîner chez sa compagne, près de Versailles. Dans l’appartement d’un petit
immeuble résidentiel, dans la verdure : Elle, un parfum qui me rappelle
une peau ancienne ; des enfants qui jouent à l’étage. Inaccessible à
jamais. Tout foyer, tout intérieur avec femme, mère et enfant, m’apparaît
toujours comme le plus noble des palais.
« Pris de malaise, au milieu du dîner, je
reprends connaissance mais on me garde coucher pour la nuit. Je ne m’endors pas
mais, à la fenêtre ouverte, de la nuit, et de ses astres, je fais, celle de mes
nombreuses gardes d’Algérie comprises, moi qui suis si léger, soumis aux
plaisirs - impossible de rien faire sans plaisir ; donc aménager le
devoir, les exigences de la profession comme tel, les laisser arriver sur le
point du plaisir, voilà la nature de ma volonté, faire cette coïncidence, la
favoriser, la créer - de la nuit et de ses astres, ce soir-là, j’ai fait la
contemplation la plus active de ma vie d’adulte.
« Au petit-déjeuner, les couverts brillent
aux lèvres très rouges des enfants : je ne sais déjà plus si j’ai mangé ou
pas. Dans la salle de bains, je caresse le peigne de corne, où s’entremêlent
les cheveux de la mère, les cheveux boucles des enfants, à quelques cheveux de leur
père. »
un manuscrit de P. Guyotat
Coma is a
book whose acts of acute corporeal exposure and the process of their
transmutation into language finally require a reader or witness, who may be
horrified and repelled, but is irresistibly enmeshed and implicated in that
process. <+>
Patrice Chéreau lit Pierre Guyotat :
<audio> <retranscription>
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