dimanche 30 décembre 2012

Racines et graines de soi





Le corps d’Akram Khan porte en lui, malgré lui, le pays de ses parents, non seulement en sa danse (il excelle au Kathak, danse traditionnelle indienne <+>) mais aussi en ses gestes et postures quotidiennes, ses saveurs et odeurs, son rythme, sa transpiration même qui semble prendre source et se mêler à l’eau du Gange, son imaginaire, sa filiation. Son père s’incarne en Akram Khan, à ses dépend.
Desh, homeland. Non pas son pays natal mais celui de son père. Ce qu’Akram Khan bâtit en cette terre est une bataille : exilé, révolté, mais bien plus fondamentalement divisé, double, autre que lui en lui. Ses racines ne sont autre que les racines de son père, et ce sont ces racines, l’autre en lui, qui bougent ses mains, cornent ses pieds, meuvent sa langue, à son corps défendant.

vendredi 28 décembre 2012

caducité


Jacques Derrida, Mémoires d'aveugle. L'autoportrait et autres ruines

"Moment de la chute: les aveugles sont les êtres de la chute, la manifestation toujours de cela même qui menace l'érection ou la station debout" (p.28)
 

 Jacques Lacan, L'angoisse, Séminaire 10

"Il voit ce qu'il a fait, ce qui a pour conséquence qu'il voit - c'est le mot devant lequel je bute - l'instant d'après ses propres yeux, boursouflés de leur tumeur vitreuse, au sol, confus amas d'ordures"
(p.190)
"Quel est le moment de l'angoisse ? Est-ce le possible de ce geste par où Œdipe s'arrache les yeux, en fait le sacrifice, les offre en rançon de l'aveuglement où s'est accompli son destin? Est-ce cela, l'angoisse? Est-ce la possibilité qu'a l'homme de se mutiler ? Non, c'est proprement ce que je m'efforce de vous désigner par cette image, c'est l'impossible vue qui vous menace, de vos propres yeux par terre."
(p.190-1)

"se dénonce le lien radical de l'angoisse à l'objet en tant qu'il choit. Sa fonction essentielle est d'être le reste du sujet, reste comme réel."
(p.194)

"l'angoisse apparaît dans la séparation. En effet, nous le voyons bien, ce sont des objets séparables. Ils ne sont pas séparables par hasard, comme la patte d'une sauterelle. Ils sont séparables parce qu'ils ont déjà anatomiquement un certain caractère plaqué, parce qu'ils sont là accrochés."
(p.195)

"La caducité de l'objet a est là, qui fait sa fonction. La chute, le niederfallen, est typique de l'approche d'un a pourtant plus essentiel au sujet que toute autre part de lui-même."
(p.196)

"l'angoisse est provoquée par la mise hors de jeu de l'instrument dans la jouissance. La subjectivité est focalisée sur la chute..."
(p.197)






mardi 18 décembre 2012

anatomie comparée




moi fermé



lui ouvert

lundi 17 décembre 2012

mon oeil


Edmund Husserl, Ideen II
« L’œil n’est pas lui-même vu […] Je ne me vois pas moi-même » (211)
« Naturellement, il est exclu de dire que je vois mon œil dans le miroir ; 
car je ne perçois pas mon œil, l’œil qui voit, en tant qu’œil voyant » (211)


 œil droit


Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception.
« La conscience que j'avais de mon regard comme moyen de connaitre, je la refoule 
et je traite mes yeux comme des fragments de matière » (85)



« Dans l'apparence de la vie, 
mon corps visuel comporte une large lacune au niveau de la tête, 
mais la biologie était là pour combler cette lacune, 
pour l'expliquer par la structure des yeux, 
pour m'enseigner ce qu'est le corps en vérité, 
que j'ai une rétine, un cerveau comme les autres hommes 
et comme les cadavres que je dissèque, 
et qu'enfin l'instrument du chirurgien mettrait infailliblement à nu 
dans cette zone indéterminée de ma tête 
la réplique exacte des planches anatomiques » (111)



 œil gauche



« Même normal, 
et même engagé dans des situations interhumaines, 
le sujet, en tant qu’il a un corps, garde à chaque instant le pouvoir de s’y dérober.  
A l'instant même où je vis dans le monde, 
où je suis 
à mes projets, 
à mes occupations, 
à mes amis, 
à mes souvenirs, 
je peux fermer les yeux, 
m'étendre, 
écouter mon sang qui bat à mes oreilles, 
me fondre dans un plaisir ou une douleur, 
me renfermer dans cette vie anonyme 
qui sous-tend ma vie personnelle » (192)


mercredi 28 novembre 2012

son oeil



Glauque glauque homme glaucome glaucome aigu ? C’est quoi ? Un angle anormalement aigu, piquant, fermé, qui ferme l’œil, le cloisonne, le clos sur lui-même, jusqu’à l’aveugler. Un œil qui ne voit plus rien que lui-même jusqu’à ne voir plus rien.
L’humeur, ni la bonne ni la mauvaise, l’aqueuse. Œil trop plein, son humeur ne passe pas. Saturation de soi. Ça ne déborde pas, ne coule pas, ça se remplit. Gavage. Pression. La peau tendue de l’œil. A se faire péter le nerf optique.

Qu’est-ce qu’un œil qui ne voit plus rien que son regard clos ? 
Qu’est-ce que mon œil s’il ne voit plus ?

Edvard Munch, Dessins d’illusions d’optique
aquarelle et pastel sur papier, Munch-museet, Oslo. Détails. 



1930. 67 ans. Munch se réveille. 
Œil droit aveuglé par le sang - hémorragie du vitré
Œil  gauche trop paresseux - amblyopie
Autoportraits
<+>




 Edvard Munch The Artist’s Injured Eye (and a figure of a bird’s head) 1930-1931


dimanche 4 novembre 2012

mise amour



« la besogne de la Mort sur l'Amour : un corps que l'amour avait transformé et qui, devenant cadavre, redevient un corps, un élément radicalement étranger. Haneke, qui s'est toujours revendiqué grand lecteur d'Adorno, a probablement lu la belle définition que ses Minima moralia donnent de l'amour, comme de « l'aptitude à déceler le semblable dans le dissemblable ». Sur le lit où Riva se raidit, Haneke filme exactement l'inverse : le retour brutal du dissemblable. » (+)

… mais justement, l’Amour est… n’est-il pas l’accueil du corps étranger, de l’Autre, du dissemblable, de celui que je ne re-connais pas, de celui que jamais je ne serai, que jamais je ne saurai ; la besogne de l’Amour sur la Mort est, n’est-elle pas d’opérer une alchimie sur le corps de l’Autre, qui me permet alors de le toucher dans sa dis-semblance, de le déshabiller ? Si Haneke filme la brutalité du dissemblable, mais si les visages ne se voilent pas, les yeux ne cillent pas, c’est qu’en effet un « intrus est entré dans la maison » (+), mais que dans cette maison de l’Amour, il séjournait déjà. L’attaque cérébrale n’inaugure pas tant la rupture d’un amour familier, d’un amour du semblable, que la radicalisation, peut-être, de cet Amour qui serait accueil de la dissemblance, jusqu’au seuil de l’insupportable aliénation. Ce qui fait passer ce seuil, c’est Anne vivante mais refusant obstinément de vivre encore ; ce n’est pas la Mort. 


jeudi 1 novembre 2012

Ec(r)oulement





Auguste Rodin
1889-90
Danaïde
Copenhague, 09.10.2010



 « Cette Danaïde qui, hors de ses genoux, s’est jetée dans sa chevelure liquide. On éprouve une impression merveilleuse à faire seulement le tour de ce marbre : le long, le très long chemin autour de la courbe de ce dos, richement déployée, vers le visage qui se perd dans la pierre comme dans un grand sanglot, vers la main qui, pareille à une dernière fleur, parle encore une fois doucement de la vie, au cœur de la glace éternelle du bloc » 
Rainer Maria Rilke