mercredi 30 mai 2012

sym- & dia- bolique



symbolique
Emprunté au bas latin symbolicus (significatif, allégorique),
Lui-même emprunté au grec συμβολικός, symbolikos (qui explique à l’aide d’un signe).

symbole
Du grec ancien sumbolon (σύμβολον), qui dérive du verbe sumbalein (symballein)
De syn-, avec, et -ballein, jeter : 
Mettre ensemble, joindre, comparer, échanger, se rencontrer, expliquer.

En Grèce, un symbole était au sens propre et originel un tesson de poterie cassé en deux morceaux et partagé entre deux contractants. Pour liquider le contrat, il fallait faire la preuve de sa qualité de contractant (ou d'ayant droit) en rapprochant les deux morceaux qui devaient s'emboîter parfaitement. Le sumbolon était constitué des deux morceaux d'un objet brisé, de sorte que leur réunion, par un assemblage parfait, constituait une preuve de leur origine commune et donc un signe de reconnaissance très sûr.

Au figuré, le symbole devient l'ensemble qui lie deux représentations de la même signification.

Un symbole est un objet sensible qu'on « pose côte à côte avec » une réalité abstraite ou surnaturelle qu'il est destiné à représenter. Le symbole est le terme visible d'une comparaison dont l'autre terme est invisible.

diabolique
L'antonyme littéral du « symbolique » est le « diabolique » :
Du Grec diaballein, de dia- à travers, et -ballein jeter,
Jeter à travers, c'est-à-dire diviser, disperser, par extension rendre confus.

Le diabolique est, au sens propre, pour les Grecs, le bâton qui semble rompu lorsqu'il est plongé dans l'eau ; au sens figuré, c'est l'apparence trompeuse. Ce qui est trompeur, fait croire à la cassure et relève de l'illusion des sens, est de l'ordre du diabolique ; ce qui rapproche, reconstitue l'unité ou la totalité originelle en dévoilant du sens est de l'ordre du symbolique.

diable
διάβολος, -ος, -ον [diabolos].
Qui désunit, qui inspire la haine ou l’envie.

Du verbe διαβάλλω (diabállô)
Composé de l'adverbe διά (diá) et du verbe βάλλω (bállô).
Jeter à travers, d’où accuser, attaquer

 

mardi 29 mai 2012

pléonasme

suicide
Du latin suicida composé de sui (soi-même) et du déverbal de caedere (tuer).

-cide
Du latin caedo (couper, tuer, tailler en pièces, séparer, fendre).

"vice de formation" (Littré)
Suicide équivaut à soi-meurtre ; se suicider équivaut donc à se soi-meurtrir.




« Le moi ne peut se tuer que lorsqu’il peut,
de par le retour de l’investissement d’objet,
se traiter lui-même comme un objet »

Sigmund Freud,
Deuil et mélancolie,
dans Œuvres complètes, t. XIII, Paris, PUF, 1988, p. 271.





« ‘Les suicides’, il vaut mieux les pluraliser,
tant il y a de différences possibles à faire surgir de ce sui accolé au coedere,
surtout avec la bien étrange et peu interrogée forme pronominale de ce verbe,
‘se suicider’,
ou par conséquent le soi se redouble,
comme si peut-être plus d’un sujet dans le sujet étaient là convoqués ».

Stéphane Habib,
Au nom de l’Amourt,  
L’en-je lacanien 2008/1, n° 10, p. 139.


lundi 28 mai 2012

because you say "I" for me






That's why I'm with you.
Because you say "I" for me.
Because you say "I" for me.
Yes, I'm thinking about him.
But I recognize the self who has just done something horrible
like a sister I've casually met on the street!
Hello, Sister.
...
But at the same time I know there's a third possibility,
like cancer, or madness.
But cancer or madness contort reality.
The possibility I'm talking about pierces reality.
I'm unable to say it, maybe.
Maybe it's impossible to say, maybe I'm too stupid. 

 
You're looking at me as if you...
You're looking at me as if to tell me that I need you to fill me up,
as if I'm an empty space.
Well, I love you too, but what makes me go on
is to know he'll return,

I can't exist by myself because I'm afraid of myself.
Because I'm the maker of my own evil.


For the first time, you look...
vulgar, to me.

dimanche 27 mai 2012

ex-per-eo


expérience

du latin experientia
experiens
experior
de ex- (hors de) et perior (→ voir peritus)

peritus 
apparenté au grec ancien περάω, peráô (traverser), synonyme de pereo,
à ceci près que per, per- n’est pas ici préfixe mais radical verbal.

περάω, peráô : passer à travers, traverser.
(Par extension) Aller, s'avancer.
(Par suite) Franchir, dépasser.

pereō
De eo (aller) avec le préfixe per- (complètement) : aller complètement ; disparaitre.
Périr, mourir.

ex- hors de
per- complètement
eo- s'avancer
ex-per-ience : s'avancer complètement hors de...  ?? 
ex-perience : hors du périr, vivre ??

samedi 26 mai 2012

sang-blanc



O poeta é un fingidor.
Finge tão completamente
Que chega a fingir que é dor
A dor que deveras sente.


Feindre est le propre du poète.
Il feint si complètement
Qu’il en arrive à feindre qu’est douleur
La douleur qu’il ressent vraiment.


Fernando Pessoa
Autopsicografia
Autopsychographie

vendredi 25 mai 2012

maternelle


Pier Paolo Pasolini
(1922 – 1975)
Supplica a mia madre
Supplique à ma mère
1964
Poesia in forma di rosa




E' difficile dire con parole di figlio
ciò a cui nel cuore ben poco assomiglio.

Tu sei la sola al mondo che sa, del mio cuore,
ciò che è stato sempre, prima d'ogni altro amore.

Per questo devo dirti ciò ch'è orrendo conoscere:
è dentro la tua grazia che nasce la mia angoscia.

Sei insostituibile. Per questo è dannata
alla solitudine la vita che mi hai data.

E non voglio esser solo. Ho un'infinita fame
d'amore, dell'amore di corpi senza anima.

Perché l'anima è in te, sei tu, ma tu
sei mia madre e il tuo amore è la mia schiavitù:

ho passato l'infanzia schiavo di questo senso
alto, irrimediabile, di un impegno immenso.

Era l'unico modo per sentire la vita,
l'unica tinta, l'unica forma: ora è finita.

Sopravviviamo: ed è la confusione
di una vita rinata fuori dalla ragione.

Ti supplico, ah, ti supplico: non voler morire.
Sono qui, solo, con te, in un futuro aprile...

Il est difficile de dire avec des mots de fils
ce à quoi dans mon cœur je ressemble bien peu.

Tu es la seule au monde à savoir, de mon cœur,
ce qu’il a toujours été, avant tout autre amour.

Voilà pourquoi je dois te dire ce qu’il est horrible de savoir :
c’est à l’intérieur de ta grâce que naît mon angoisse.

Tu es irremplaçable. Voilà ce qui a condamné
à la solitude la vie que tu m’as donnée.

Et je ne veux pas être seul. J’ai une faim infinie
d’amour, de l’amour de corps sans âme.

Parce que l’âme est en toi, c’est toi, mais tu
es ma mère et ton amour est mon esclavage :

j’ai passé mon enfance esclave de ce sentiment
élevé, irrémédiable, d’immense engagement.

C’était la seule façon de sentir la vie,
la seule couleur, la seule forme : maintenant c’est fini.

Nous survivons : et c’est la confusion
d’une vie qui renaît hors de la raison.

Je t’en supplie, ah, je t’en supplie : ne veuille pas mourir.
Je suis ici, seul, avec toi, en un futur avril…



mercredi 23 mai 2012

pour en finir avec le jugement


Antonin Artaud
Pour en finir avec le jugement de Dieu
1947






De quelque côté qu’on vous prenne vous êtes fou,
mais fou à lier.


liez-moi si vous le voulez,
mais il n’y a rien de plus inutile qu’un organe.

Lorsque vous lui aurez fait un corps sans organes,
alors vous l’aurez délivré de tous les automatismes
et rendu à sa véritable et immortelle liberté.


lundi 21 mai 2012

hôte


hôte
Du latin hospĭtem, accusatif de hospes :

Celui, celle à qui on donne l’hospitalité, qui est accueilli, l’invité, le voyageur.
(Féminin : hôte)

Celui, celle qui donne l’hospitalité, qui accueille, invite, par humanité, par bienveillance peut-être.
(Féminin : hôtesse)

 

hospes
-pes
La seconde partie du mot est la même que dans sos-pes : sauveur.
Le suffixe pet-, pit- vient d’une racine qui signifie : protéger.
hos-
La première partie du composé est le substantif hostis : étranger, ennemi.
hospes signifie donc à l’origine celui qui protège l’étranger aussi bien que l’ennemi. 
Plus tard, il s’est dit de celui qui reçoit l’hospitalité.
Dans ce passage de l’actif au passif, on entend alors la radicale étrangèreté, voire hostilité de l’hospitalité - étrangèreté de l'étranger qui pénètre un espace étranger.




Réciprocité du recevoir - mais non symétrie
L'hôte(sse) reçoit l'hostis.
L'hostis reçoit l'hospitalité.
L'hôte(sse) donne l'hospitalité et reçoit l'hostis.
L'hostis reçoit l'hospitalité et s'y donne.

Vulnérabilité
Être hôte est donc être vulnérable:
L'hostis se met en position de vulnérabilité par le don de soi qu'est l'acte d'être reçu, en prenant place au sein de l'espace de l'autre.
L'hôte(sse) se met en position de vulnérabilité par l'ouverture d'un espace où l'acte inconditionnel d'invitation de l'autre en soi peut avoir lieu.

Hospitalité: la psychanalyse comme accueil inconditionnel de la parole 
Anne Dufourmantelle partie 1 partie 2
S'appuyer sur l'universel pour émerger dans son histoire singulière un peu plus libre qu'avant.



dimanche 20 mai 2012

des possessions



 


Il la croit entre lui et un autre.
Il la veut à lui.
Orgasme organique, hors-corps ; jouissance phallique, sémiotique.
Appartement aseptisé, surveillé.

Elle s’enfuit au-delà du domaine de sa possession.
Elle se dépossède d’elle-même comme objet échangeable de consommation sexuelle.
Orgasme du corps réel indicible ; jouissance hors-langage.
Au plus près du mur.

Elle se donne au radicalement Autre.
Jouissance qui ne la réduit pas au m’aime.
Angoisse.

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samedi 19 mai 2012

te vas, vestida de mar






Alfonsina y el mar





Por la blanda arena que lame el mar
Su pequeña huella no vuelve más
Y un sendero solo de pena y silencio llegó
Hasta el agua profunda
Y un sendero solo de penas mudas llegó
Hasta la espuma

Sabe Dios que angustia te acompañó
Qué dolores viejos calló tu voz
Para recostarte arrullada en el canto
De las caracolas marinas
La canción que canta en el fondo oscuro
del mar
La caracola

Te vas Alfonsina con tu soledad
¿qué poemas nuevos fuiste a buscar ?
Y una voz antigua de viento y de sal
Te requiebra el alma
Y la está llamando
Y te vas, hacia allá como en sueños,
Dormida Alfonsina, vestida de mar.

Cinco sirenitas te llevarán
Por caminos de algas y de coral
Y fosforescentes caballos marinos
harán una ronda a tu lado.
Y los habitantes del agua van a jugar pronto
a tu lado.

Bájame la lámpara un poco más
Déjame que duerma, nodriza en paz
Y si llama él no le digas que estoy,
Dile que Alfonsina no vuelve.
Y si llama él no le digas nunca que estoy,
Di que me he ido.


Sur le sable blanc que lèche la mer
Sa petite emprunte ne revient pas
Et un sentier seul de peine et de silence atteint l'eau profonde
Et un sentier de peines tues va
Jusqu'à l'écume

Dieu sait quelle angoisse t'a accompagné
Quelles douleurs anciennes tu as tues
Pour t'allonger bercée par le chant
Des conques marines
La chanson que chante dans le fond obscur
de la mer
La conque

Tu t'en vas Alfonsina avec ta solitude
Quels poèmes nouveaux as tu été chercher ?
Et une voix antique de vent et de sel
Te réclame l'âme
Et l'appelle
Et tu t'en vas vers l'au-delà comme en rêves
Alfonsina endormie, vêtue de mer

Cinq petites sirènes t'emporteront
Dans des chemins d'algues et de corail
Et des hippocampes marins et phosphorescents
Feront une ronde à tes côtés.
Et les habitants de la mer vont jouer bientôt
à tes côtés

Baisse un peu l'intensité
Laisse moi dormir nourrice en paix
Et s'il appelle ne lui dis pas que je suis là
Dis lui que Alfonsina ne revient pas
Et s'il appelle ne lui dis jamais que je suis là
Dis lui que je suis partie.




jeudi 17 mai 2012

Ecrire - Greffer




Écrire
Du latin scrībĕre (écrire).
Les premières formes d’écriture ont été des entailles dans la pierre, le bois ou la cire et le radical de ce verbe est à chercher du côté de scrupus (pierre pointue), scrobis (trou creusé dans la terre), scrofa (truie, animal qui gratte la terre).

-graph
Du grec ancien γράφειν, graphein (écrire).
Infinitif du verbe γράφω.

γράφω /'gɾa.fɔ/
Du grec ancien γράφω, gráphô.
1. Écrire.
2. Dessiner.

γράφω, gráphô
Du radical indo-européen commun gerbʰ- (égratigner).
1. (sens de départ) Égratigner, écorcher.
2. Tracer des signes pour écrire ou pour dessiner, d’où le sens de graver, d’inscrire, d’écrire. Aussi : rédiger, composer (en prose).
3. Assigner par écrit (en justice), d’où : poursuivre ou attaquer en justice.
4. Tracer des lignes, d’où : dessiner, peindre.


Greffe
Du latin graphium, poinçon à écrire, du grec γράφειν, graphein, écrire.
Grefe était un mot très usité dans l'ancienne langue et signifiant poinçon à écrire.




lundi 14 mai 2012

Ecouter les langues


voilà le secret de ta solitude : 
... de la hauteur des mots se laisser choir dans la mélodie une et commune.


Rainer Maria Rilke
Notes sur la mélodie des choses



Notizen zur Melodie der Dinge
das ist das Geheimnis deiner Einsamkeit:
... aus den hohen Wroten sich fallen lassen in die eine gemeinsame Melodie. 


Notes on the Melody of Things
that is the secret of your solitude:
... to let yourself take leave of the lofty words to join in with the one shared melody. 


Notas sobre la melodía de las cosas
este es el secreto de tu soledad:
... dejarse caer, desde la altura de las palabras, en la una y común melodía. 






mercredi 9 mai 2012

L'importance du 'ne pas encore...'



L'urgence et la patience, titre Jean-Philippe Toussaint. 

Écrire, 
créer, plus généralement, 
ou même parler, tout simplement,
comme on respire... dans un élan vital. 
Urgence. 

Mais cette nécessité, 
où l'on ne peut qu'écrire, et écrire 'ça'
où l'on ne peut que créer, ou parler
est un fruit mûr,
qui prend racine dans le silence, 
et se dore au soleil de ce qu'il n'est pas. 
Patience.

Se taire, alors, comme la meilleure manière de commencer à parler?

L'inverse de la prudence et de la constance, en quelque sorte, 
avoir la patience que s'impose l'urgence. 



mardi 8 mai 2012

Seul


Alone 
Edgar Allan Poe

From childhood's hour I have not been
As others were; I have not seen
As others saw; I could not bring
My passions from a common spring.
From the same source I have not taken
My sorrow; I could not awaken
My heart to joy at the same tone;
And all I loved, I loved alone.
Then- in my childhood, in the dawn
Of a most stormy life- was drawn
From every depth of good and ill
The mystery which binds me still:
From the torrent, or the fountain,
From the red cliff of the mountain,
From the sun that round me rolled
In its autumn tint of gold,
From the lightning in the sky
As it passed me flying by,
From the thunder and the storm,
And the cloud that took the form
(When the rest of Heaven was blue)
Of a demon in my view.

dimanche 6 mai 2012

L'attente



photographie par Cath. An.


L'attente L'oubli
Maurice Blanchot
1962

Ici, et sur cette phrase qui lui était peut-être aussi destinée, il fut contraint de s’arrêter. C’est presque en l’écoutant parler qu’il avait rédigé ces notes. Il entendait encore sa voix en l’écrivant. Il les lui montra. Elle ne voulait pas lire. Elle ne lut que quelques passages et parce qu’il le lui demanda doucement. « Qui parle ? » disait-elle. « Qui parle donc ? » Elle avait le sentiment d’une erreur qu’elle ne parvenait pas à situer. « Effacez ce qui ne vous paraît pas juste. » Mais elle ne pouvait rien effacer non plus. Elle rejeta tous les papiers tristement. Elle avait l’impression que, bien que lui ayant assuré qu’il la croirait en tout, il ne la croyait pas assez, avec la force qui eût rendu la vérité présente. « Et maintenant vous m’avez arraché quelque chose que je n’ai plus et que vous n’avez même pas. » N’y avait-il pas des mots qu’elle acceptait plus volontiers ? qui s’écartaient moins de ce qu’elle pensait ? Mais tout tournait devant ses yeux : elle avait perdu le centre d’où rayon-

Tout changerait si nous attendions ensemble.

C’est la voix qui t’es confiée, et non ce qu’elle dit. Ce qu’elle dit… les secrets que tu recueilles,… tu dois les ramener doucement, malgré leur tentative de séduction, vers le silence que tu as d’abord puisé en eux… c’était quelque chose qu’elle ne devait pas entendre, qu’ils ne devaient pas entendre ensemble.

Attendre, seulement attendre. L’attente étrangère, égale en tous ses moments…

Pourquoi… attirez-vous en moi cette parole, qu’ensuite il me faut dire ?... mais je ne dirai rien… ce que je dis n’est rien.

Il ne se souvenait pas l’avoir questionnée, … il l’avait questionnée d’une manière plus pressante par son silence, son attente...

Faites en sorte que je puisse parler… Persuadez-moi que vous m’entendez.

Dès qu’on attendait quelque chose, on attendait un peu moins.

- Soyez sincère : pourquoi n’exercez-vous pas cette puissance que vous savez que vous avez ?
- Quelle sorte de puissance ? Pourquoi me dites-vous cela ?
Mais elle y revenait avec sa tranquille obstination :
- Reconnaissez ce pouvoir qui vous appartient.
- Je ne le connais pas, et il ne m’appartient pas.
- C’est bien la preuve que ce pouvoir fait partie de vous-même.
Les voix résonnent dans l’immense vide, le vide des voix et le vide de ce lieu vide.

L’attention attend… L’attente seule donne l’attention. Le temps vide, sans projet, est l’attente qui donne l’attention… L’attente donne l’attention en retirant tout ce qui est attendu.

Il sait qu’il y a une certaine coïncidence entre le lieu et l’attention. C’est un lieu d’attention. L’attention ne sera jamais dirigée vers lui, y séjournerait-il éternellement. Mais il ne désire pas non plus être l’objet de cette attention.

Elle n’est pas attentive à ce qu’il fait : il ne fait rien, et pas davantage à ce qu’il dit : il parle moins qu’il n’écoute ; à lui-même peut-être, à ce lui que dégage de lui l’attente et qui est l’indifférence attentive du lieu.

Le désir qu’il avait de bien l’entendre avait depuis longtemps fait place à un besoin de silence dont tout ce qu’elle avait dit aurait formé le fond indifférent. Mais seule l’entente pouvait nourrir ce silence.

Depuis quand avait-il commencé d’attendre ? Depuis qu’il s’était rendu libre pour l’attente en perdant le désir des choses particulières et jusqu’au désir de la fin des choses. L’attente commence quand il n’y a plus rien à attendre, ni même la fin de l’attente. L’attente ignore et détruit ce qu’elle attend. L’attente n’attend rien.
Quelle que soit l’importance de l’objet de l’attente, il est toujours infiniment dépassé par le mouvement de l’attente. L’attente rend toutes choses également importantes également vaines.

Ce qu’il ne lui avait jamais demandé : si elle disait vrai. Voilà ce qui exprimait leurs rapports difficiles : elle disait vrai, mais non en ce qu’elle disait.

Ce qui est caché, cela s'ouvre sur l'attente, non pour se découvrir, mais pour y rester caché. L'attente n'ouvre pas, ne ferme pas. Entrée dans un rapport qui n'est pas d'accueil, ni d'exclusion. L'attente est étrangère au mouvement se cacher-se montrer des choses. Qui n'attend, rien ne lui est caché. Il n'est pas auprès des choses qui se montrent. Dans l'attente, toutes choses sont retournées vers l'état latent.

Quand elle lui avait demandé, à lui un étranger, ce qu’un proche n’aurait pas encore été assez proche pour lui donner, il comprit qu’en le lui demandant elle l’avait rendu plus proche que tout autre. Pourquoi avait-il accepté d’emblée une telle proximité ?

Le pourrissement de l’attente, l’ennui. L’attente stagnante, l’attente qui s’est d’abord prise pour objet, qui s’est prise de complaisance pour elle-même, enfin de haine pour elle-même. L’attente, la calme angoisse de l’attente ; l’attente devenue la calme étendue où la pensée est présente dans l’attente.

Et puis venaient les instants où, le fil de leurs rapports s’étant rompu, elle retrouvait sa tranquille réalité.

La mort ne se laisse pas attendre

Il se demande si elle ne reste pas en vie pour prolonger le plaisir de la terminer.

 

samedi 5 mai 2012

Le Dit comme Evocation


Gershom Scholem à Frank Rosenzweig (lien)
(+)

"Nous vivons à l’intérieur de notre langue, pareils, pour la plupart d’entre nous, à des aveugles qui marchent au-dessus d’un abîme. Mais lorsque la vue nous sera rendue, à nous ou à nos descendants, ne tomberons-nous pas au fond de cet abîme? Et nul ne peut savoir si le sacrifice de ceux qui seront anéantis dans cette chute suffira à le refermer."


"... au cœur de cette langue où nous ne cessons pas d’évoquer Dieu de mille façons – le faisant revenir ainsi, en quelque sorte, dans la réalité de notre vie – Dieu lui-même, à son tour, ne restera pas silencieux."



vendredi 4 mai 2012

A ton seul désir

La dame à la licorne - Flandres - 1484-1500

Livre, puis mots empruntés, presque volés : à mon seul désir.


Ces phrases, profiter des lueurs qu’elles éveillent en vous pour vivre ce que, précisément, vous n’aviez pas encore vécu.

Sans ouvrir la bouche, avec une voix de silence, écoute phrasée.

Une solitude est faite de rencontre.

Comment désirez-vous ? De quoi avez-vous besoin pour rejoindre votre désir ?

Les différences ne se résorbent pas dans une quelconque identité ; elles s’animent de leurs liaisons.

Différence et répétition ne s’opposent pas ; la répétition est au contraire la puissance de la différence. A travers la variété, unicité.

Vous lui offrez votre disponibilité, mais en vous exposant à son abondance, vous faites l’expérience de ce qui se dérobe.

Le désir n’occupe aucune position, il laisse s’épanouir ce qu’il rencontre. 


mardi 1 mai 2012

Mère de grâce


La Vierge, l’Enfant Jésus et sainte Anne
1501-1519
Léonard de Vinci

Hannah (de l'hébreu חנה, grâcieuse).



Philippe Sollers. 2004. Sainte-Anne. Corrélats (2/3)

« un lieu que je suppose plein d’oreilles. Cet hôpital Sainte-Anne […] fondé à l’intention des pesteux sous l’influence – 1650 – d’Anne d’Autriche. […]  
Anne d’Autriche […] devait transmettre la royauté française […] vouée à Marie, à la Vierge Marie […] mère de Louis XIV. […]

Anne est la mère de Marie, donc la grand-mère du Christ. […]
La Vierge […] est tout sauf une déesse de la fécondité. Elle accomplit quelque chose comme la naissance de Dieu, une fois pour toutes. […] Léonard de Vinci se signale parmi tous les peintres italiens comme n’ayant jamais peint ni Crucifixion, ni Pietà. Il a fait ce tableau et nous devons comprendre comment cela implique qu’on n’entre ni dans la Crucifixion, ni dans la Pietà. Il s’agit bien entendu d’un défi porté au judaïsme en général. On n’est plus dans l’intervention d’un Dieu qui prélèverait une côte sur le corps masculin pour en faire du « femme ». Il y a donc eu une longue incubation où du féminin engendre du féminin qui engendre son principe causal, sans que l’on puisse jamais distinguer une cause, par rétroaction entre le corps et l’esprit ou la chair et le Verbe. »