samedi 30 juin 2012

de Médée à Charlotte


souviens toi que je suis Médée… Medea nunc sum…

la mère et l’enfant
d’une femme infanticide qui reste impunie de ce crime
à une femme qui a doucement torturé son enfant, qui n’a pas tué son enfant mais s’en sent responsable, coupable

l’infanticide et l’être-femme
d’une femme dont l’infanticide est le point d’aboutissement d’une aliénation à l’Autre, d’une aliénation par l’Autre, dont l’infanticide vient comme une tentative d’échapper à cette aliénation, et d’y faire échapper ses enfants tout en y scellant le père, dont l’infanticide est une manière d’assumer radicalement son être-femme en le scindant de son être-mère-et-épouse
à une femme dont ‘l’infanticide’ (ce qui est vécu comme tel) est le point de décompensation de son aliénation à l’Autre, dont ‘l’infanticide’ clive son être en son être-femme d’une part et son être-mère et être-épouse d’autre part



 Medea, Lars von Trier



l’être-femme et la nature
d’une femme maitresse de la nature, sorcière qui en connait et en manipule les forces de  vie et de mort, une femme qui se sait être magicienne et en use, une femme dont la magie est une identité d’abord aliénée à l’Autre puis réappropriée
à une femme immergée dans une nature qui la déborde et l’envahit, l’habite et la manipule, une femme qui craint d’être sorcière et s’en castre, une femme pour qui la magie est une force aliénante qui a la puissance irrépressible d’une identité



Antichrist, Lars von Trier


l’être-femme et le savoir
d’une femme qui met le savoir du côté de la nature
à une femme qui met le savoir du côté de l’homme

l’être-femme et l’homme
d’une femme que son mari stratège tente de délaisser
à une femme qu’un mari impuissant tente de maitriser

l’être-femme et la loi
d’une femme qui défie et soumet les lois de la société humaine en rompant leur transmission ascendante et descendante
à une femme qui laisse agir sur elle la loi de son mari, une femme qui laisse son mari prendre l’ascendant sur elle, puis échoue à en échapper autrement que par la mort – de l’un ou de l’autre

l’être-femme et la folie
d’une femme mythique qui s’élève au dessus des lois, de la douleur, La femme non barrée
à une femme qui ne trouve pas les portes de cet Autre monde, d’une femme barrée par la loi phallique

femmes
d’une femme qui se fait épouse et mère par la mort… and back
à une épouse et mère qui se fait femme… et meurt

mort
de la mort comme processus de constitution identitaire
à la mort comme fin d’un processus de déconstruction identitaire




vendredi 29 juin 2012

Médée l'Autre


Extraits de :
Stengers Isabelle. Souviens toi que je suis Médée. Medea nunc sum.
Collection Empêcheurs de penser en rond. 1993.


Medea, Lars von Trier


L’effrayant défi d’une femme qui tue ses enfants et n’en meurt pas. […]
C’est bien une héroïne que crée Euripide, une femme capable d’hésiter, puis de se reprocher comme un crime son propre recul, « Honte à ma lâcheté », capable de vibrer de douleur jusqu’à la moindre de ses fibres mais de dire « Tu pleureras ensuite ! ». La Médée de Sénèque est bien plus proche de l’image quelconque d’une femme folle furieuse, mais elle a ce mot étrange, qui fait hésiter le sens, « Medea nunc sum ».
« Souviens-toi que je suis Médée », répond, à travers les siècles, la Médée de Charpentier au « Maintenant, je suis Médée » de Sénèque. […]
Avoir à « Etre Médée » est de l’ordre de l’évènement. […]
Médée, la femme, a dépouillé – écorchée terrifiante – les liens qui tissaient ses attaches humaines et est devenue celle qu’elle avait oubliée, trahie, pour devenir grecque et femelle […]
Médée serait morte de désespoir si elle n’était devenue Médée, si elle n’avait retrouvé, au moment de la plus grande humiliation que puisse connaître une femme, l’accès à ce qui en elle s’était nié pour faire exister la femme aimante et loyale. Qui aurait la bêtise de dire Médée jalouse ! Jalouse d’une princesses ignorante et vaine ? Jalouse d’un homme lâche et veule, menteur et vaniteux ? A aucun moment, Médée n’envie à Créuse son piètre trophée. C’est le sens de sa vie qui est en jeu, non la possession d’un Jason. […]
Jason a cru que son pouvoir de mâle avait transformé la magicienne en femme, que l’on peut tromper et abandonner. […]
Et soudain, le monde se vide, la mémoire devient l’ennemie, ricanante, obscène. Médée, la femme, sait qu’elle va en mourir si elle n’en appelle pas à l’Autre. […]
Face à la panique, il faut pouvoir, non pas médiocrement rendre coup pour coup, mais recréer un monde autre, sans commune mesure avec celui qui fait défaut. […]
Et la solution qu’elle invente, « Etre Médée », rompre les liens qui la condamnent et créer un monde où nul ne pourra avoir pitié d’elle ou songer à lui "pardonner", la crée en tant qu’énigme que tous, Jason le premier, auront à réfléchir. Au sens où elle n’est plus "des nôtres", pour négocier, analyser, interpréter, mais où l’Autre qu’elle est devenue nous constitue nous-mêmes, atterrés en pôles de réflexion, se renvoyant de siècle en siècle […]
C’est un autre monde qui insiste, un monde barbare peut-être […]
De quelle extériorité s’agit-il donc ? Que signifie Médée ? […]
Un monde "matriarcal" que les Grecs achéens ont détruit mais qu’ils craignent encore. […]
Mère et Mort à la fois […]
Signe du triomphe d’Aphrodite la grecque sur la Mère archaïque. Le Jason d’Euripide l’affirme : « Il te déplairait d’avouer que l’amour t’a contrainte, que tu n’as pu parer ses flèches, et que c’est là pourquoi tu m’as sauvé » […]. Médée, simple femme, esclave de l’amour ? Mais lorsque Médée devient Médée, l’ordre divin des Grecs s’écroule. Le soleil n’est plus Apollon, il a partie liée avec la mort, la lumineuse source de vie s’affirme soudain une  avec la noirceur infernale. Et les lois de la culpabilité, du remord et de la justice s’effondrent. […]
« Froide alliance de la sentimentalité et de la cruauté féminine, qui font réfléchir l’homme » (Deleuze, Présentation de Sacher-Masoch, Paris, Minuit, 1967). Faire réfléchir, au sens où il ne s’agit pas de se donner un objet de réflexion… mais où on subit une réflexion, où on résonne à une énigme, qui, froide, fait de vous son miroir. Souviens toi que je suis Médée.


Antichrist, Lars von Trier


jeudi 28 juin 2012

arche-mot


Arche
Du latin Arca
Hébreu : תבה Tèbah : coffre, mot.

Le mot tèbah est composé des lettres : 

ת (tav), dernière lettre de l'alphabet.

ב (beth), deuxième lettre de l’alphabet, première lettre de la Torah, qui commence par בְּרֵאשִׁית (Berèshit, « au commencement »). 

ה (he), utilisée comme article défini en hébreu, où elle est directement accolée devant le nom.

Les deux lettres écrivant tèbah enserrent donc la totalité des lettres de l’alphabet, à l’exception du “aleph”.
Tèbah est donc en deux syllabes/lettres l’arche-mot, le mot comme arche, refuge, perpétuation de l’écriture. 

Les lettres du mot tèbah donne aussi le sens de “le signe en elle” (taw/bah). Ce que l’arche-mot préserve serait ainsi les multiples sens qu’il véhicule lui-même dans l’espace et le temps.






mercredi 27 juin 2012

merceries

remercier
De l’ancien français mercier (« exprimer sa gratitude »).
Rendre grâce, dire merci.
Se dit, par civilité, pour marquer le refus qu’on fait d’accepter quelque chose.
Congédier, renvoyer quelqu’un poliment.


mercier
De l’ancien français merchier « membre de la mercerie », de merz (« marchandise ») issu du latin merx (« marchandise, denrées »).
Récompenser ou punir quelqu’un.
Remercier.


merci
Du latin mercēdem, accusatif de merces
merci (nom commun)
Miséricorde, grâce, pitié.
Bon vouloir par lequel on épargne quelqu’un.
merci (interjection)
Exprime autant la reconnaissance, que l’acceptation.


mercēs
Récompense pour un travail
Prix d'un service illégitime ou honteux.
Punition pour avoir méprisé l'ordre des dieux.
Tort, dommage.
Intérêt, rente, revenu. 



mardi 26 juin 2012

Coffrer la langue


« Aucune tombe ne sera permise nulle part en terre labourable, aucun monument (mnèma) grand ou petit... tout sol que la terre, notre mère (mètèr) destine naturellement à fournir la nourriture aux hommes, ni mort ni vivant ne doit en priver ceux de qui nous vivons »
(Platon, Lois XII, 958 d 7-8, e 3-5).




 (Pas de Calais, Mars 2010)



« Ce qui est écrit est privé de voix, privé de la voix de son père.
[…] La loi [non-écrite, paternelle] interdit qu’une tombe ne vienne souiller la terre labourable, qu’aucun mémorial ne vienne s’inscrire dans la terre-mère, dans le porte-empreinte maternel. Mais, même ailleurs que là où la terre, nous nourrissant, déploie le plus sa maternité, toute trace du corps mort est limitée.
[…] le tombeau est au maximum ce qu’il est quand il est couvert d’une inscription. […] Toute inscription est funèbre, l’écriture est déjà tombeau.
[…] la loi du père proclame l’immortalité de l’âme. Elle interdit Elle interdit ou essaie d’interdire à l’homme de laisser des traces, parce que ces traces ne pourraient s’inscrire que corporellement et dans la terre-mère. La loi du père sépare l’âme de la mère. L’immortalité de l’âme est un autre nom pour la prohibition de l’inceste. C’est d’ailleurs une autre loi non-écrite qui l’interdit (Lois VIII, 838 b 1)
[…] L’écriture des lettres ne suffit pas, ne se suffit pas à elle-même. Il lui faut le secours de son père, la voix du discours parlé. […] La semence paternelle pourra donc subsister, mais elle ne pourra pas pousser une fois séparée de la voix que seule le père peut lui donner »
Extrait de : Brague R. 1973. En marge de « La pharmacie de Platon » de J. Derrida. Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, Tome 71, N°10, 1973. pp. 271-277.


lundi 25 juin 2012

regarde la là l'a



 les uns, alchimistes, transforment la merde en vie
et les autres

les uns regardent l'autre 
et les autres 
ne voient rien

pourquoi les uns 
et les autres?



« Où regarder sans se blesser ? »
Perrine Le Querrec, Bec et Ongles.


dimanche 24 juin 2012

mal entendu



m'éprendre  méprendre  méprise  mépriser  me priser  me prendre  m'éprendre  méprendre  méprise  mépriser  me priser  me prendre  m'éprendre  méprendre  méprise  mépriser  me priser  me prendre  m'éprendre  méprendre  méprise  mépriser  me priser  me prendre  m'éprendre

 
Claudine Doury, Sasha.
+lien+

samedi 23 juin 2012

apprendre


« Qu’est-ce qui sait ? Se rend-on compte que c’est l’Autre ? […] Le statut du savoir implique comme tel qu’il y en a déjà, du savoir, et dans l’Autre, et qu’il est à prendre. C’est pourquoi il est fait d’apprendre. Le sujet résulte de ce qu’il doive être appris, ce savoir, et même mis à prix, c’est-à-dire que c’est son coût qui l’évalue, non pas comme d’échange, mais comme d’usage. Le savoir vaut juste autant qu’il coûte, beau-coût, de ce qu’il faille y mettre de sa peau, de ce qu’il soit difficile, difficile de quoi ? – moins de l’acquérir que d’en jouir. Là, dans le jouir, la conquête de ce savoir se renouvelle chaque fois qu’il est exercé, le pouvoir qu’il donne restant toujours tourné vers sa jouissance »
Lacan J. 1972-73. Encore, Le séminaire, Livre XX, Points Seuil. pp.123-4.


mardi 19 juin 2012

place





Michaël Borremans




"Où puis-je poser la tête?
Où est l'épaule de ma mère?"

Perrine Le Querrec




n.b. j'ai volé ce 'post' à ce très beau 

jeudi 14 juin 2012

book s(h)elf




The portrait-format painting Cell is part of the series October 18, 1977, in which Gerhard Richter approaches the German terrorist group Red Army Faction (RAF) in an artistic manner. It shows the deserted prison cell of one of the leaders of the RAF, Andreas Baader, who was arrested in June 1972 in Frankfurt am Main and found dead of a self-inflicted gunshot wound in his cell at Stuttgart-Stammheim prison on 18th October 1977. +link+  +a quiet tremor+

mercredi 13 juin 2012

lundi 11 juin 2012

l'empire des sens


"un corps cela se jouit. Cela ne se jouit que de le corporiser de façon signifiante. […] Comme le souligne admirablement cette sorte de kantien qu’était Sade, on ne peut jouir que d’une partie du corps de l’Autre, pour la simple raison qu’on n’a jamais vu un corps s’enrouler complètement jusqu’à l’inclure et le phagocyter, autour du corps de l’Autre. […] Jouir a cette propriété fondamentale que c’est en somme le corps de l’un qui jouit d’une part du corps de l’Autre. Mais cette part jouit aussi […] le jouir du corps comporte un génitif qui a cette note sadienne sur laquelle j’ai mis une touche, ou, au contraire, une note extatique, subjective, qui dit qu’en somme, c’est l’Autre qui jouit" 
(Lacan J. 1972. Encore, Le séminaire, Livre XX, p.33).

Jouissance phallique :
jouir du corps au sens objectif du génitif : jouir de l’objet corps de l’autre, de l’organe, du phallus.
Jouissance de l'Autre :
jouir du corps au sens subjectif du génitif : le corps comme sujet du jouir, le corps de l’Autre qui jouit.

L’empire des sens :
l’homme est en position de jouir-de l'Autre : c’est le corps de l’Autre, de La femme qu'il laisse jouir de lui.
La femme le réduit au contraire à son phallus. Jusqu’à le lui couper.


Si l'on suit les qualificatifs lacaniens, ce film dit d'érotisme féminin offre donc 
à l'homme une jouissance féminine, en ce qu'il jouit de l'Autre, jusqu'à la mort, 
et à la femme une jouissance masculine, en ce qu'elle jouit du phallus, voire du pénis.



dimanche 10 juin 2012

qui est cette femme dont je tombe?



« Jusqu’où [Médée] en vint à devenir ce que [Jason] la fit être, reste impénétrable, mais le seul acte où elle nous montre clairement s’en séparer est celui d’une femme, d’une vraie femme, dans son entièreté de femme » (Lacan J. 1958. Jeunesse de Gide. Dans : Ecrits, p.261)

Être une femme. Être ce que l’homme aimé désire. Puis ne plus l’être. Ne plus être une femme (pour lui). Seulement être une mère, avoir un enfant. L’homme aimé fait d’une autre une femme, l’objet de son désir.
User alors de son savoir, pour tuer celle pour qui l’homme qu’elle aime l’a destituée de son être-femme. Si je ne suis plus femme (pour lui), qu’elle ne le soit pas non plus. Si je perds l’objet de mon désir, qu’il perde le sien.
Puis tuer ce qui peut s’avoir, l’enfant, pour ainsi ne plus être-mère. Si ne plus être-femme pour l’homme me fait n’être que mère pour l’enfant, que n’être plus mère me fasse être La femme, au-delà d’être et d’avoir l’objet de l’homme. Et jouir. Toute pas-toute.
Exil de la terre paternelle, et fratricide: pour être femme, elle ne fût plus ni fille, ni sœur. Régicide: elle coupe l’homme aimé de l’objet de son désir et de toute descendance. Infanticide: pour être La femme, elle n’est pas mère.



 Carlotta Ikeda, danseuse Butô, incarne Médée sur un texte de Pascal Quignard