jeudi 11 octobre 2012

des rêves et des jours


 Alfred Kubin, Die Sauger



Et s’ils n’y avaient plus de différence entre nos rêves et nos jours ? Si nos rêves se déployaient tout entier et seulement au sein de nos jours ? Si nous vivions nos rêves à la pleine lueur de ce que nous sommes, pensons, ressentons, voulons le jour, éveillés, conscients, rationnels même parfois ? Si nous vivions nos rêves comme des perceptions ? S’ils se passaient là devant nous ? Si nous y étions ?
Et si nos rêves n’étaient plus seulement structurés par l’inconscient mais se jouaient de jour ? Si au lieu de parfois se frayer une voie jusqu’au jour, pour parfois y rester un peu, si nos rêves nous pénétraient du dehors ?
Si nous n’étions plus qu’un ? Si celui que nous sommes parfois la nuit ne parlaient plus à celui que nous sommes parfois le jour ? Si, endormis ou éveillés, nous n’étions plus que diurnes ?
Alors, nous ne rêverions plus.

La Cité du rêve
d’après L’Autre Côté d’Alfred Kubin
Scénario, mise en scène, décors, lumière, Krystian Lupa



jeudi 4 octobre 2012

chi.mère

L’autre en soi
« Le microchimérisme se définit par la présence en faible quantité dans un organisme, sur le long terme, de cellules ou d’ADN provenant d’un autre individu sans qu’il n’y ait apparemment de réaction de greffon contre l’hôte (GvDH) ou de rejet de greffe. Il survient à l’occasion d’une transfusion sanguine, d’une transplantation d’organe et durant la grossesse. Le transit transplacentaire de cellules est un phénomène constant, bidirectionnel, commençant vers la quatrième semaine de grossesse. Le transfert cellulaire se faisant dans les deux directions, deux types de microchimérisme sont rencontrés :
- le microchimérisme fœtal (MCF) (transfert fœto-maternel) ;
- le microchimérisme maternel (transfert materno-fœtal).
La situation se brouille dans la mesure où, au cours de la grossesse, le fœtus peut acquérir des cellules maternelles d’origine fœtale provenant d’une grossesse antérieure ou d’un avortement antérieur. C’est ainsi que des hépatocytes masculins ont été identifiés dans le foie de fillettes n’ayant jamais reçu de produit sanguin. […]
Des cellules de fœtus mâle ont été identifiées chez des femmes jamais transfusées jusqu’à 27 ans après la naissance d’un garçon »
C. Boyon, P. Collinet, L. Boulanger, D. Vinatier (2011) Microchimérisme fœtal : un bien ou un mal pour le fœtus et sa mère ? Gynécologie Obstétrique & Fertilité, Volume 39, Issue 4, Pages 224-231.



Mieux se souvenir de soi par l’autre en soi ??....
Par le passé, certaines études tendaient à mettre en avant un lien entre nombre de grossesses et risque de développer la maladie d'Alzheimer. Une récente étude dirigée par J. Lee Nelson du Centre de recherche sur le cancer Fred Hutchinson et parue dans la revue PLoS One suggère que des cellules fœtales, par le truchement du microchimérisme, iraient se placer dans le cerveau de la femme enceinte et pourraient protéger celle-ci de l'apparition de la maladie d'Alzheimer.
Abstract: “In humans, naturally acquired microchimerism has been observed in many tissues and organs. Fetal microchimerism, however, has not been investigated in the human brain. Microchimerism of fetal as well as maternal origin has recently been reported in the mouse brain. In this study, we quantified male DNA in the human female brain as a marker for microchimerism of fetal origin (i.e. acquisition of male DNA by a woman while bearing a male fetus). Targeting the Y-chromosome-specific DYS14 gene, we performed real-time quantitative PCR in autopsied brain from women without clinical or pathologic evidence of neurologic disease (n = 26), or women who had Alzheimer’s disease (n = 33). We report that 63% of the females (37 of 59) tested harbored male microchimerism in the brain. Male microchimerism was present in multiple brain regions. Results also suggested lower prevalence (p = 0.03) and concentration (p = 0.06) of male microchimerism in the brains of women with Alzheimer’s disease than the brains of women without neurologic disease. In conclusion, male microchimerism is frequent and widely distributed in the human female brain”.
Chan WFN, Gurnot C, Montine TJ, Sonnen JA, Guthrie KA, et al. (2012) Male Microchimerism in the Human Female Brain. PLoS ONE 7(9): e45592.






lundi 1 octobre 2012

sans-réponse



« À qui s'adresse-t-on en un tel moment ? Et au nom de qui s'autoriserait-on à le faire ? Souvent, ceux qui s'avancent alors pour parler, pour parler publiquement, interrompant ainsi le murmure animé, l'échange secret ou intime qui relie toujours, dans le for intérieur, à l'ami ou au maître mort, souvent ceux qui se font alors entendre dans un cimetière en viennent à s'adresser directement, tout droit, à celui dont on dit qu'il n'est plus, qu'il n'est plus vivant, qu'il n'est plus là, qu'il ne répondra plus. Les larmes dans la voix, ils tutoient parfois l'autre qui garde le silence, ils l'interpellent sans détour et sans médiation, ils l'apostrophent, le saluent aussi ou se confient à lui. Ce n'est pas forcément une nécessité conventionnelle, pas toujours une facilité rhétorique de l'oraison. C'est plutôt pour traverser la parole, là où les mots nous manquent, et parce que tout langage qui reviendrait vers soi, vers nous, paraîtrait indécent, comme un discours réflexif qui ferait retour vers la communauté blessée, vers sa consolation ou son deuil, vers ce qu'on appelle de cette expression confuse et terrible le « travail du deuil ». Occupée d'elle-même, une telle parole risquerait en ce retour de se détourner de ce qui est ici notre loi — et la loi comme droiture: parler tout droit, s'adresser directement à l'autre, et parler pour l'autre qu'on aime et admire, avant de parler de lui. »
Jacques Derrida, Adieu. A Emmanuel Levinas. Paris, Galilée. 1997, p. 11-12.

« La mort est la disparition, dans les êtres, de ces mouvements expressifs qui les faisaient apparaître comme vivants — ces mouvements qui sont toujours des réponses. La mort va toucher avant tout cette autonomie ou cette expressivité des mouvements qui va jusqu'à couvrir quelqu'un dans son visage. La mort est le sans-réponse. »
Emmanuel Lévinas, Dieu, la mort et le temps. Paris, Grasset. 1993, p. 17. Cité par Derrida, Ibid., p. 16

« La mort est écart irrémédiable: les mouvements biologiques perdent toute dépendance à l'égard de la signification, de l'expression. La mort est décomposition; elle est le sans-réponse. »
Ibid.,  p. 20. Cité par Derrida, Ibid., p. 16



Edvard Munch, La Mort


“Whom is one addressing at such a moment? And in whose name would one allow oneself to do so? Often those who come forward to speak, to speak publicly, thereby interrupting the animated whispering, the secret or intimate exchange that always links one, deep inside, to a dead friend or master, those who make themselves heard in a cemetery, end up addressing directly, straight on, the one who, as we say, is no longer, is no longer living, no longer there, who will no longer respond. With tears in their voices, they sometimes speak familiarly to the other who keeps silent, calling upon him without detour or mediation, apostrophizing him, even greeting him or confiding in him. This is not necessarily out of respect for convention, not always simply part of the rhetoric of oration. It is rather so as to traverse speech at the very point where words fail us, since all language that would return to the self, to us, would seem indecent, a reflexive discourse that would end up coming back to the stricken community, to its consolation or its mourning, to what is called, in a confused and terrible expression, "the work of mourning." Concerned only with itself, such speech would, in this return, risk turning away from what is here our law, the law as straightforwardness or uprightness [droiture]: to speak straight on, to address oneself directly to the other, and to speak for the other whom one loves and admires, before speaking of him.”

“Death is, in beings, the disappearance of the expressive movements that made them appear as living movements that are always responses. Death will touch above all this autonomy or expressivity of movements that goes so far as to cover someone's face. Death is the without- response.”

“Death is this irremediable gap: biological movements lose all their dependence upon signification or expression. Death is decomposition: it is the without-response.”