mercredi 9 mai 2012

L'importance du 'ne pas encore...'



L'urgence et la patience, titre Jean-Philippe Toussaint. 

Écrire, 
créer, plus généralement, 
ou même parler, tout simplement,
comme on respire... dans un élan vital. 
Urgence. 

Mais cette nécessité, 
où l'on ne peut qu'écrire, et écrire 'ça'
où l'on ne peut que créer, ou parler
est un fruit mûr,
qui prend racine dans le silence, 
et se dore au soleil de ce qu'il n'est pas. 
Patience.

Se taire, alors, comme la meilleure manière de commencer à parler?

L'inverse de la prudence et de la constance, en quelque sorte, 
avoir la patience que s'impose l'urgence. 



mardi 8 mai 2012

Seul


Alone 
Edgar Allan Poe

From childhood's hour I have not been
As others were; I have not seen
As others saw; I could not bring
My passions from a common spring.
From the same source I have not taken
My sorrow; I could not awaken
My heart to joy at the same tone;
And all I loved, I loved alone.
Then- in my childhood, in the dawn
Of a most stormy life- was drawn
From every depth of good and ill
The mystery which binds me still:
From the torrent, or the fountain,
From the red cliff of the mountain,
From the sun that round me rolled
In its autumn tint of gold,
From the lightning in the sky
As it passed me flying by,
From the thunder and the storm,
And the cloud that took the form
(When the rest of Heaven was blue)
Of a demon in my view.

dimanche 6 mai 2012

L'attente



photographie par Cath. An.


L'attente L'oubli
Maurice Blanchot
1962

Ici, et sur cette phrase qui lui était peut-être aussi destinée, il fut contraint de s’arrêter. C’est presque en l’écoutant parler qu’il avait rédigé ces notes. Il entendait encore sa voix en l’écrivant. Il les lui montra. Elle ne voulait pas lire. Elle ne lut que quelques passages et parce qu’il le lui demanda doucement. « Qui parle ? » disait-elle. « Qui parle donc ? » Elle avait le sentiment d’une erreur qu’elle ne parvenait pas à situer. « Effacez ce qui ne vous paraît pas juste. » Mais elle ne pouvait rien effacer non plus. Elle rejeta tous les papiers tristement. Elle avait l’impression que, bien que lui ayant assuré qu’il la croirait en tout, il ne la croyait pas assez, avec la force qui eût rendu la vérité présente. « Et maintenant vous m’avez arraché quelque chose que je n’ai plus et que vous n’avez même pas. » N’y avait-il pas des mots qu’elle acceptait plus volontiers ? qui s’écartaient moins de ce qu’elle pensait ? Mais tout tournait devant ses yeux : elle avait perdu le centre d’où rayon-

Tout changerait si nous attendions ensemble.

C’est la voix qui t’es confiée, et non ce qu’elle dit. Ce qu’elle dit… les secrets que tu recueilles,… tu dois les ramener doucement, malgré leur tentative de séduction, vers le silence que tu as d’abord puisé en eux… c’était quelque chose qu’elle ne devait pas entendre, qu’ils ne devaient pas entendre ensemble.

Attendre, seulement attendre. L’attente étrangère, égale en tous ses moments…

Pourquoi… attirez-vous en moi cette parole, qu’ensuite il me faut dire ?... mais je ne dirai rien… ce que je dis n’est rien.

Il ne se souvenait pas l’avoir questionnée, … il l’avait questionnée d’une manière plus pressante par son silence, son attente...

Faites en sorte que je puisse parler… Persuadez-moi que vous m’entendez.

Dès qu’on attendait quelque chose, on attendait un peu moins.

- Soyez sincère : pourquoi n’exercez-vous pas cette puissance que vous savez que vous avez ?
- Quelle sorte de puissance ? Pourquoi me dites-vous cela ?
Mais elle y revenait avec sa tranquille obstination :
- Reconnaissez ce pouvoir qui vous appartient.
- Je ne le connais pas, et il ne m’appartient pas.
- C’est bien la preuve que ce pouvoir fait partie de vous-même.
Les voix résonnent dans l’immense vide, le vide des voix et le vide de ce lieu vide.

L’attention attend… L’attente seule donne l’attention. Le temps vide, sans projet, est l’attente qui donne l’attention… L’attente donne l’attention en retirant tout ce qui est attendu.

Il sait qu’il y a une certaine coïncidence entre le lieu et l’attention. C’est un lieu d’attention. L’attention ne sera jamais dirigée vers lui, y séjournerait-il éternellement. Mais il ne désire pas non plus être l’objet de cette attention.

Elle n’est pas attentive à ce qu’il fait : il ne fait rien, et pas davantage à ce qu’il dit : il parle moins qu’il n’écoute ; à lui-même peut-être, à ce lui que dégage de lui l’attente et qui est l’indifférence attentive du lieu.

Le désir qu’il avait de bien l’entendre avait depuis longtemps fait place à un besoin de silence dont tout ce qu’elle avait dit aurait formé le fond indifférent. Mais seule l’entente pouvait nourrir ce silence.

Depuis quand avait-il commencé d’attendre ? Depuis qu’il s’était rendu libre pour l’attente en perdant le désir des choses particulières et jusqu’au désir de la fin des choses. L’attente commence quand il n’y a plus rien à attendre, ni même la fin de l’attente. L’attente ignore et détruit ce qu’elle attend. L’attente n’attend rien.
Quelle que soit l’importance de l’objet de l’attente, il est toujours infiniment dépassé par le mouvement de l’attente. L’attente rend toutes choses également importantes également vaines.

Ce qu’il ne lui avait jamais demandé : si elle disait vrai. Voilà ce qui exprimait leurs rapports difficiles : elle disait vrai, mais non en ce qu’elle disait.

Ce qui est caché, cela s'ouvre sur l'attente, non pour se découvrir, mais pour y rester caché. L'attente n'ouvre pas, ne ferme pas. Entrée dans un rapport qui n'est pas d'accueil, ni d'exclusion. L'attente est étrangère au mouvement se cacher-se montrer des choses. Qui n'attend, rien ne lui est caché. Il n'est pas auprès des choses qui se montrent. Dans l'attente, toutes choses sont retournées vers l'état latent.

Quand elle lui avait demandé, à lui un étranger, ce qu’un proche n’aurait pas encore été assez proche pour lui donner, il comprit qu’en le lui demandant elle l’avait rendu plus proche que tout autre. Pourquoi avait-il accepté d’emblée une telle proximité ?

Le pourrissement de l’attente, l’ennui. L’attente stagnante, l’attente qui s’est d’abord prise pour objet, qui s’est prise de complaisance pour elle-même, enfin de haine pour elle-même. L’attente, la calme angoisse de l’attente ; l’attente devenue la calme étendue où la pensée est présente dans l’attente.

Et puis venaient les instants où, le fil de leurs rapports s’étant rompu, elle retrouvait sa tranquille réalité.

La mort ne se laisse pas attendre

Il se demande si elle ne reste pas en vie pour prolonger le plaisir de la terminer.

 

samedi 5 mai 2012

Le Dit comme Evocation


Gershom Scholem à Frank Rosenzweig (lien)
(+)

"Nous vivons à l’intérieur de notre langue, pareils, pour la plupart d’entre nous, à des aveugles qui marchent au-dessus d’un abîme. Mais lorsque la vue nous sera rendue, à nous ou à nos descendants, ne tomberons-nous pas au fond de cet abîme? Et nul ne peut savoir si le sacrifice de ceux qui seront anéantis dans cette chute suffira à le refermer."


"... au cœur de cette langue où nous ne cessons pas d’évoquer Dieu de mille façons – le faisant revenir ainsi, en quelque sorte, dans la réalité de notre vie – Dieu lui-même, à son tour, ne restera pas silencieux."



vendredi 4 mai 2012

A ton seul désir

La dame à la licorne - Flandres - 1484-1500

Livre, puis mots empruntés, presque volés : à mon seul désir.


Ces phrases, profiter des lueurs qu’elles éveillent en vous pour vivre ce que, précisément, vous n’aviez pas encore vécu.

Sans ouvrir la bouche, avec une voix de silence, écoute phrasée.

Une solitude est faite de rencontre.

Comment désirez-vous ? De quoi avez-vous besoin pour rejoindre votre désir ?

Les différences ne se résorbent pas dans une quelconque identité ; elles s’animent de leurs liaisons.

Différence et répétition ne s’opposent pas ; la répétition est au contraire la puissance de la différence. A travers la variété, unicité.

Vous lui offrez votre disponibilité, mais en vous exposant à son abondance, vous faites l’expérience de ce qui se dérobe.

Le désir n’occupe aucune position, il laisse s’épanouir ce qu’il rencontre. 


mardi 1 mai 2012

Mère de grâce


La Vierge, l’Enfant Jésus et sainte Anne
1501-1519
Léonard de Vinci

Hannah (de l'hébreu חנה, grâcieuse).



Philippe Sollers. 2004. Sainte-Anne. Corrélats (2/3)

« un lieu que je suppose plein d’oreilles. Cet hôpital Sainte-Anne […] fondé à l’intention des pesteux sous l’influence – 1650 – d’Anne d’Autriche. […]  
Anne d’Autriche […] devait transmettre la royauté française […] vouée à Marie, à la Vierge Marie […] mère de Louis XIV. […]

Anne est la mère de Marie, donc la grand-mère du Christ. […]
La Vierge […] est tout sauf une déesse de la fécondité. Elle accomplit quelque chose comme la naissance de Dieu, une fois pour toutes. […] Léonard de Vinci se signale parmi tous les peintres italiens comme n’ayant jamais peint ni Crucifixion, ni Pietà. Il a fait ce tableau et nous devons comprendre comment cela implique qu’on n’entre ni dans la Crucifixion, ni dans la Pietà. Il s’agit bien entendu d’un défi porté au judaïsme en général. On n’est plus dans l’intervention d’un Dieu qui prélèverait une côte sur le corps masculin pour en faire du « femme ». Il y a donc eu une longue incubation où du féminin engendre du féminin qui engendre son principe causal, sans que l’on puisse jamais distinguer une cause, par rétroaction entre le corps et l’esprit ou la chair et le Verbe. »